Chronique n°2

The Power of the Dog de Thomas Savage


C’est lorsqu’on achève un roman sans se demander s’il on a apprécié ou non la lecture, mais plutôt s’il on a été en capacité d’en saisir toute sa force, sa densité, sa clairvoyance, si l’on a été à la hauteur du labeur ainsi confié entre nos minuscules mains, qu’on reconnaît et mesure un monument de la littérature. À ce titre, The Power of the Dog de Thomas Savage est l’un de ces chefs-d’œuvre que les aléas du succès, hasardeux et parfois injustes, ont laissé jaunir dans la confidentialité. 

 

Son adaptation à l’écran par la cinéaste néo-zélandaise Jane Campion, diffusée en novembre 2021 sur Netflix et portée par le brillant Benedict Cumberbatch, a toutefois permis de donner au roman l’attention et la juste note qu’il méritait tant. Quel dommage que son auteur n’ait pu en être témoin ! Peut-être pourra-t-on se consoler en (re)lisant la postface d’Annie Proulx, autrice de la nouvelle Brokeback Mountain au rayonnement que l’on connaît, adossée au texte dans une réédition de 2001, deux ans avant la disparition du romancier…

 

Le film a beau être une réussite en tout point, je l’ai terminé avec un sentiment de frustration. D’une part, je l’ai visionné sur l’écran de mon téléphone, avachi à l’arrière d’une voiture. (On notera le paradoxe : une production Netflix, exclue d’une diffusion sur grand écran, nous rappelle à quel point le cinéma permet d’apprécier un film à sa juste valeur…). D’autre part, mon manque d’attention m’a fait passer à côté de détails capitaux pour la compréhension de l’intrigue et de son dénouement magistral.

 

C’est avec ce désir lancinant de revanche que je me suis procuré un exemplaire de The Power of the Dog, aux éditions Little, Brown and Company. Je me suis également lancé le défi de le lire en anglais, armé du dictionnaire de ma liseuse, dans l’espoir de ressentir ce « pouvoir » au plus près de sa source.

 

Montana, années 1920. Deux frères, Phil et George, conduisent l’un des plus grands ranchs de l’État. Le premier, personnage mémorable, figure du cowboy aux mains amochées, à l’image de son caractère effroyable et sadique. Le second, gérant bonne patte, un peu potiche, objet des railleries de son frère dont il partage le toit et le lit. À l’occasion d’une étape dans une ville voisine, George s’éprend de Rose, une aubergiste veuve. Lorsque le couple vient à s’installer au logis, menaçant l’ordre routinier et despotique de Phil, ce dernier est prêt à tout pour rétablir son emprise…

 

Ce petit théâtre rustique, cloisonné dans un ranch poussiéreux et rude de l’Ouest américain, s’anime d’un réalisme époustouflant. La force du roman tient à la complexité de ses personnages, au rang desquels Phil trône en maître. L’auteur s’attaque à l’archétype du cowboy viril, qu’il pare ici d’un esprit ciselé et cruel. Son attachement aux valeurs rurales, son sens méticuleux de l’observation et son mépris pour les vantards et les sissies (garçons efféminés) sont plus que palpables. Mais ce qui est un bon personnage devient une figure inoubliable lorsque sont révélées les fondations plus que bancales de ce tyran, bâti sur ô combien de secrets et d’artifices. Impossible d’en dire plus : le final, acéré comme la pointe d'un scalpel, doit rester inviolé. 

 

En fouillant l’histoire de Thomas Savage, il apparaît que cette fresque familiale est composée d’une multitude de fragments personnels associés les uns aux autres à la manière d’un orfèvre. Partant de là, on comprend le réalisme et la sophistication du roman, mais également le fait que The Power of the Dog soit présenté comme le meilleur de son auteur.

 

Enfin, par sa dimension tragique, son sens de la fatalité ou encore sa violence rouge sang, j’ai par moments eu le sentiment de tenir entre mes mains un texte de Yukio Mishima, dans le sillage du Marin rejeté par la mer. Rien ne laisse à penser que l’écrivain nippon ait connu son homologue américain, mais je me plais à rêver la connivence que ces deux-là auraient pu nouer. Celle entre un fils d’Extrême-Orient et un gamin du Far West ; vallées sourdes et enneigées pour l'un, plaines de vent chaud et d'ambroisie pour l'autre…

 

Et vous, avez-vous lu The Power of the Dog de Thomas Savage ? Avez-vous vu son adaptation à l'écran ? Quels sentiments vous ont traversés ? N'hésitez pas à échanger dans la section ci-dessous !


A vous la parole !

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