Chronique n°1

Tous nos jours parfaits de Jennifer Niven


Pour cette première chronique, je souhaiterais vous parler d’un roman dont je viens de terminer la lecture, et qui ne m’a pas laissé indifférent. Il s’agit de Tous nos jours parfaits (All the Bright Places) de l’autrice américaine Jennifer Niven, publié en 2015 chez Gallimard Jeunesse. Succès littéraire planétaire, il a par ailleurs été adapté à l’écran par Netflix.

 

(Je tiens avant tout à préciser que ce commentaire révèle intégralement l'intrigue, car il me semble indispensable de discuter de la fin).

 

L’histoire débute au sommet d’un clocher de l’Indiana, où Finch et Violet, deux lycéens, ont l’intention de mettre fin à leurs jours. Aussi surpris l’un que l’autre de s’y croiser là, Finch parvient à convaincre sa camarade d’y renoncer – l’imitant par là même. D’abord honteuse, Violet laisse peu à peu ce garçon tonitruant et hyperactif entrer dans sa vie, découvrant les charmes de celui pourtant ostracisé par ses camarades. Le récit est raconté du point de vue des deux protagonistes, alternant entre des chapitres « Finch » et des chapitres « Violet ».

 

Sur la forme, le roman est relativement accessible, aéré, et relève de la catégorie « jeunes adultes ». Le découpage en petites parties rend la chose dynamique, même addictive.

 

C’est néanmoins sur le fond que je souhaiterais m’attarder.

 

J’ai démarré la lecture avec une pointe d’appréhension : on y rencontre d’abord une ex pom-pom girl, le « beau gosse » du lycée, une bande de bécasses, une best friend forever devenue pire ennemie… et tout un tas de joyeux poncifs. Heureusement, cette compotée de personnages fades permet de braquer le projecteur sur Finch, qui, en comparaison, irradie de fraîcheur. En employant la première personne, l’autrice nous donne accès à l’esprit de ce trublion qui fait preuve d'un réel charisme. On se prend vite d’affection pour lui, et on comprend celle que lui porte Violet – affection qui, vous vous en doutez, se transfigure en amour. Même si leur romance flirte parfois avec les stéréotypes, zappant des enjeux d’éducation sexuelle, on prend plaisir à les voir s’aider mutuellement, surmonter leurs traumatismes et partager leurs sentiments, lucides et puissants. Jennifer Niven réalise un tour de force lorsqu’elle nous fait peu à peu comprendre que Finch, derrière sa flamboyance, souffre d’un trouble bipolaire, ce qui le rend encore plus humain et bouleversant, balayant du revers de la main l’étiquette de la maladie.

 

Et puis… patatra. C’est dans la dernière cinquantaine de pages que, à mon sens, tout s’effondre. Finch disparaît du jour au lendemain, introuvable, ne laissant sur son passage que des textos énigmatiques, jusqu’à ce qu’il soit retrouvé par Violet… noyé, suicidé. La scène a beau être décrite avec beaucoup de retenue, on a du mal à réaliser, à accepter le drame. Certains diront que l’autrice parvient justement à nous mettre dans la peau d’un proche, tout à la fois impuissant et désemparé. Les dernières pages sont ainsi l’occasion pour la survivante de faire son travail de deuil, cheminant sur les dernières traces du disparu. L’ultime scène se veut celle de l’espoir – une Violet tournée vers l’avenir, pleine de projets…

 

Une note de l’autrice a été glissée à la suite de cela. On apprend que celle-ci, âgée d’une vingtaine d’années, a elle-même connu le suicide d’un proche. Son ambition a ainsi été celle de redonner espoir aux survivants, leur permettre de se pardonner.

 

Ce point de départ (extrêmement regrettable) permet de mieux cerner les raisons de cette bifurcation inattendue dans le scénario. Ma compréhension est que l’autrice souhaitait traiter du deuil, si bien que la mort de Finch était inéluctable pour que Jennifer Niven puisse se fondre en Violet.

 

Mais, en sacrifiant le premier, je ne peux m’empêcher de penser qu’elle sacrifie par là même des centaines de milliers de jeunes, diagnostiqués bipolaires ou non, qui s’identifiaient au personnage de Finch, si solaire. Alors qu’elle paraissait combattre l’étiquette, le trouble bipolaire redevient une forme de malédiction dont le personnage ne pourra jamais se défaire, et qui ne peut le conduire qu’à la mort. Pire, en souhaitant honorer la disparition de Finch, faisant de lui une sorte d’aura qui continue de veiller sur Violet, leur amour semble magnifié par ce drame. Comme si, les deux amoureux enfin apaisés, leur connivence pouvait pleinement se réaliser...

 

Le thème du suicide demande une extrême prudence, notamment auprès des jeunes (on pense à la série pour adolescents « 13 Reasons Why », décriée à cause de cela). Là aussi, j’ai été surpris par la manière dont Jennifer Niven appréhendait cette thématique : elle auréole le suicidé d’une forme de sainteté, comme s’il avait transcendé sa condition de gamin brisé pour s’élever au rang de bienfaiteur, voire d’ange gardien. Les dernières pages où Finch glisse sa lettre d’adieu dans la Bible, posée sous la figure de Jésus, renforcent ce sentiment.

 

Pour traiter du deuil du survivant, il me semble que le point de départ aurait dû être ces cinquante dernières pages : une gamine découvrant le corps sans vie d’un proche, et le torrent d’émotions qui l’ensevelit alors. Si Finch avait dû exister, il aurait dû être annoncé mort dès le départ, afin que son suicide soit le postulat, et non la conséquence « logique » des choses.

 

Pour conclure, j’ai le sentiment que le roman est traversé par deux courants honorables, mais contradictoires – combattre le suicide d'une part, surmonter le deuil d'autre part – qui, en s’entrechoquant, finissent par s’annuler l’un et l’autre. Deux idées de romans qui auraient dû être traitées séparément, sous peine de produire l’effet inverse de celui escompté.

 

Et vous, avez-vous lu Tous nos jours parfaits de Jennifer Niver ? Quel a été votre ressenti ? N'hésitez pas à échanger dans la section ci-dessous !


A vous la parole !

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